A l’origine est le sujet, et des sujets naissent les discours

lundi 20 avril 2009
par  Jean-Pascal SIMON

Les rencontres, discussion, travail en commun que j’ai eu la chance d’avoir avec Maurice, pour qui aujourd’hui nous prenons le clavier, m’ont sans nul doute amené à quitter une perspective un tantinet applicationniste (je l’avoue) que j’avais en entrant à l’IUFM, pour être convaincu, aujourd’hui, que les valeurs qui sont convoquées en didactique du français (DFLM) ne peuvent être celles qui le sont à l’Université, au CNRS et dans d’autres lieux . . . Il faut donc que la DFLM définissent donc ses valeurs, ses principes, pour construire le paradigme scientifique qui lui est propre. Ainsi, je m’efforce souvent, en préparant mes cours, de tenir les deux bouts de la chaîne didactique : prendre en compte, bien sûr, les théories (linguistiques, sociolinguistiques …) en développant une réflexion qui s’efforce d’éclairer les pratiques enseignantes, de proposer des outils qui répondent aux attentes de la classe. De faire en sorte que les théories linguistiques et didactiques ne restent pas des savoirs simplement énoncés mais soient aussi convoqués, impliquées, dans le cadre d’une réflexion, de la production de connaissances nouvelles sur action enseignante et les apprentissages dont l’objectif est de répondre à des attentes socialement inscrites.

Les travaux menés par, Maurice Mas nous offrent l’exemple de ce que peut être une bonne transposition didactique de savoirs (que d’aucuns appellent savants ) qui s’effectue non pas simplement par une simplification et le passage d’un statut de savoir universitaire à celui de programmes scolaires mais par leur acculturation au monde de l’école, par une recontextualisation, afin de rendre plus efficace le travail des maîtres. Je voudrai m’essayer à cette tâche en proposant de mettre en relief et de réorganiser un certain nombre de savoirs dans un des domaines où Maurice a travaillé avec le Groupe EVA : la production des écrits. Ainsi donc je vais présenter ci-dessous, quelques idées, quelques repères, ou, en d’autres termes, des « choses[1] » indispensables à dire à des PE2 qui en septembre prochain seront chargés d’une classe.

Qu’est-ce que “mettre en mots” ?

Un énoncé n’est pas produit ex nihilo mais est composé à partir de plusieurs “ancrages”. Que doit-on comprendre par “ancrage” et quels sont-ils ? On comprendra par “ancrage” un “lieu” une instance avec laquelle un texte est en contact. Ces ancrages sont divers un texte est souvent en relation avec une situation concrète, un locuteur-scripteur, des destinataire, un contexte social ... Habituellement on précise qu’un énoncé :

  • est en rapport avec une réalité
  • est produit par un énonciateur
  • est destiné à un énonciataire sur lequel il produit un certain “effet”.

(j’arrête là tout le monde aura compris que l’on retrouve ici peu ou prou le schéma de Jakobson . . .)

Si ce qui vient d’être présenté est très (voire trop) souvent présenté dans les ouvrages de didactiques, rares sont ceux qui prennent en compte le contexte social. En effet, énonciateurs et énonciataires évoluent dans un certain milieu qui “produit” des formes d’expression : les modes de salutations, les manières de raconter (à l’oral comme à l’écrit), d’annoncer une nouvelle (bonne ou mauvaise), de féliciter, de participer à la joie ou la peine d’autrui … Ce qui fournit au locuteur des modèles, des « formes » qui orientent l’activité langagière. Il ne faut donc pas oublier qu’avant d’entrer à l’école, et en dehors même de l’école, l’enfant apprend de manière empirique l’usage de ces « formes » d’expression qu’il utilise et dont il respecte plus ou moins consciemment les règles depuis son plus jeune âge. On ne peut donc pas faire comme si l’élève était vierge de tout savoir en entrant dans la classe de français. En outre, on ne peut pas faire non plus comme si la classe de français était un univers clos, une sorte de laboratoire de langue, enseigner le français langue maternelle, c’est faire entrer dans sa classe, par le truchement des élèves, des univers socialement définis, c’est les faire se confronter sachant que les pratiques langagières scolaires sont parfois étrangères aux élèves à qui nous enseignons. L’enseignant doit donc connaître et prendre en compte ces usages qui ne sont aujourd’hui bien souvent plus les siens.

Mettre en mots c’est donc plus qu’une simple communication et un codage / décodage d’informations supportées par des mots, une syntaxe, c’est une action socialement définie et codée, qui par delà la notion de registre de langue, convient plus ou moins à l’espace social dans lequel il est produit.

L’énonciateur et l’énoncé

L’enseignement des discours oraux ou écrits est par nature un enseignement centré sur le sujet, c’est quelque chose que l’on oublie trop. En effet, ce qui est premier c’est l’homme pas le discours. Celui-ci résulte non pas en premier lieu de règles (de grammaire, d’orthographe, de syntaxe … que sais-je encore …) qui encombrent les manuels, mais d’un choix du sujet qui veut mettre en mots une réalité, des sentiments, des opinions, une croyance … qu’il veut partager avec l’autre. Produire un discours c’est par delà une rencontre, faire un certain nombre de choix de la part du sujet, qui renvoient :

- à la réalité :

  • sa connaissance de cette réalité : on ne perçoit pas forcément tout
  • une sélection parmi les multiples éléments qui constituent le réel : que rapporter ?

un découpage en éléments (signifiants ou pas), on peut découper un espace de diverses façons, décrire quelqu’un amène à choisir des « plans » comme le fait le cinéma : on peut décrire un personnage « en pied » en plan américain ...

- au code :

  • la langue dans laquelle il va s’exprimer
  • le vocabulaire : choix des mots, du registre, des connotations ...
  • le cadre syntaxique : types de phrases, temps, ....
  • etc.

- à la mise en mot au niveau de la macro-strucure de l’énoncé

  • l’ordre dans lequel seront rapportés les évènements
  • le genre : conte, parabole, devinette du type “tu sais ce qui s’est passé ce matin en bas de chez moi ?”

- à son opinion sur les faits

  • les évènements les plus importants (mise en relief et effacement ...)
  • son jugement “c’est bien fait, c’était prévisible, ....”

- à ce l’action que l’on veut avoir sur le destinataire, la façon dont on désire qu’il

  • interprète, comprenne les faits,
  • se comporte après la lecture du message
  • ....

De cela on doit conclure que les règles ne sont donc pas premières, cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas utiles, elles viennent dans un second temps, et sont travaillées à l’occasion de ce que Maurice (et ses collègues du groupe EVA et de l’INRP) d’activités décrochées. Ce sont les règles que l’on se donne, les contraintes plus ou moins librement choisies en fonction du projet de communication que l’on a choisi. Le travail de l’enseignant devrait aussi d’aider l’élève à travailler ses propres projets de communication, de les réfléchir, et de lui apprendre à faire des choix.

Et le reste … ?

J’arrêterai là mon propos. En effet, le reste, on le trouve largement développé dans les nombreux travaux de didactique, il faudrait bien sûr parler les typologies de textes, des produits leur analyse : progression thématique, schéma quinaire … sans oublier bien sûr les processus dont on rendrait compte à l’aide du modèle de Hayes et Flower importé par Claudine Garcia-Debanc (une collègue de Maurice du le groupe EVA), de l’écriture, de la réécriture des brouillons d’écoliers (Claudine Fabre) … Quelques morceaux choisis pourraient faire une fort intéressante synthèse pour un concours de professeurs des écoles …

Je voulais simplement rappeler que l’homme est premier, que la théorie et le savoir doivent être à son service et je pense qu’avec moi Maurice sera d’accord pour que n’oublie pas que la didactique du français est avant tout une science humaine.



[1] Je ne sais s’il s’agit de notions, concepts, ou autre, … peu importe, il s’agit là me semble-t-il de repères pour enseigner.

 


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