De la grammaire de phrase à la grammaire de textes

mercredi 30 janvier 2008
par  Jean-Pascal SIMON

Paru dans Journal des Instituteurs n°2 octobre 1997, Paris : Nathan.

De la phrase au texte

La grammaire "ordinaire" a pour objet de décrire les règles de fonctionnement de la phrase mais, comme H. Weinrich (1973, p.11), on peut objecter que l’on ne voit "nulle part d’arguments incontestables justifiant le sort privilégié ainsi fait à la phrase. Elle n’est ni la plus petite ni la plus grande unité de production linguistique ; rien de plus qu’une unité de taille moyenne ...". On peut ajouter que, si la notion de phrase s’applique bien à l’écrit, elle n’est que difficilement opératoire dans le cas des énoncés oraux "ordinaires" ; pour s’en rendre compte il suffit d’essayer de segmenter en phrases une conversation courante. Or, pendant longtemps, l’enseignement grammatical en français a porté essentiellement sur la phrase, les enseignements du texte se cantonnant le plus souvent dans des questions d’expressivité et de recherche d’idées originales. La nécessité d’une étude plus générale du texte s’est fait ressentir il y a maintenant plusieurs années. Les textes narratifs en ont été les premiers objets. Les modélisations, inspirés d’abord du modèle de V. Propp[1] puis de la sémiotique narrative ont abouti à un premier outil pédagogique le schéma quinaire :

Perturbation : un élément vient bouleverser l’ordre social établi

Actions : visant à rétablir cet ordre

Résolution de la perturbation

Situation finale : l’ordre est rétabli

Situation initiale : présentation des personnages, lieux, époque ....

largement repris dans les manuels, ouvrages, fiches, etc. Ce point de vue s’est élargi envisageant d’autres types de textes explicatifs, injonctifs, poétiques ... tentant de définir pour chacun d’eux des caractéristiques linguistiques propres.

Par-delà les modèles d’analyse dont on dispose aujourd’hui pour décrire les textes, il y a un autre intérêt à ne pas envisager les énoncés simplement dans leur dimension phrastique : beaucoup de fautes relevées dans les productions écrites des élèves relèvent d’autre chose que de la grammaire de la phrase. Si c’est moins perceptible dans les textes à dominante narrative, on le constate souvent quand on corrige des textes à visée explicative. Comment réaliser une recette si l’on oublie de préciser le volume d’ingrédients, même si elle est écrite en "bon français" ? Comment monter un objet si l’on n’en donne pas clairement les étapes de fabrication ? Chacune des phrases d’un texte peut être grammaticalement et sémantiquement correcte mais le message ne pas l’être si les reprises pronominales ne sont pas bien maîtrisées.

On pourrait objecter que cette approche relève plutôt des classes de collège et que les jeunes enfants ne sont pas aptes à aborder de telles questions. C’est oublier un peu vite que nombre de leurs écrits révèlent qu’ils ont parfaitement compris certains fonctionnements des textes. Ainsi le texte suivant d’un élève de CM1 :

Un jour dans un petit village en Espagne qui s’appelait Bélos il y avait un cirque. C’était le cirque Circus et dans le cirque il y avait un jongleur qui s’appelait Gloglo il était très gentil, courageux et honnête. Mais son patron qui s’appelait Pépone et qui était paresseux et gourmand. Le renvoya et il engagea un autre. Et un beau jour Pépone Glaço mourut et Gloglo devint le patron du cirque.

montre que celui-ci a compris l’utilisation conjointe du passé-simple et de l’imparfait. Il relate à l’imparfait les éléments qui renvoient au contexte : noms des personnages, leurs caractéristiques.. Et au passé-simple les évènements qui constituent la trame narrative. Voilà une compétence qui s’installe très tôt chez les élèves, on la remarque du fait des constructions erronées, le plus souvent calquées sur la morphologie des verbes du premier groupe, comme : il *parta, il *prenda ... Il s’agit là d’un domaine de compétences sur lesquelles on peut travailler très tôt, et qui amènent à réfléchir sur la structure globale du texte en utilisant les notions de "premier-plan" et "d’arrière-plan" ou, pour dire plus simple dans un langage à la portée des élèves, de ce qui est important et ce qui fait partie du décor[2]. Voilà deux notions issues de la linguistique textuelle qui sont tout-à-fait à la portée des élèves. Ne pouvant épuiser en quelques pages les questions qui relèvent de la grammaire des textes, j’ai choisi de ne développer que question de l’expression du temps qui gagnerait à être traitée dans cette perspective élargie.

(...)

[1] La morphologie du conte, Paris : Seuil (coll. Point), 1970, a inspiré Francis Debyser et Christian Lestrade, auteurs du Tarot des mille et un contes, B.E.L.C. / Ecole des loisirs.

[2] Sur ces questions voir ce que dit H. Weinrich (1973, p. 131) sur le temps et la mise en relief et notamment le découpage qu’il fait d’une nouvelle de Maupassant, par lequel il montre que dans un nouvelle on a en fait deux textes imbriqués l’un qui relate le cadre l’autre qui relate les évènements que l’auteur estime les plus importants.


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